Le médecin malgré eux

Publié le par Gaspard Fenicottero

La villa donne sur le lac de Guatape à deux heures de Medellin. On accoste à quelques mètres de cette maison à patio, qui avant qu'on ne le recouvre d'un lac, avait vu sur le village du Viejo Peñol. C'est la seule maison à n'avoir pas succombé à la folie dévastatrice de la course à l'énergie. Peut-être que les moeurs légères de l'ancien propriétaire lui ont permis de flotter.

Dans cette région de paysans nourris à la chrétienté et abreuvés de peurs païennes, la retour d'un médecin parti faire des études en Italie était suffisant pour alimenter les ragots. Et puis il faut admettre que Don Demetrio était un sacré personnage.

Jamais marié, ce beau médecin a rapidement fait vriller les coeurs des jeunes femmes de la région, tant et si bien qu'il eut trente-six enfants illégitimes, dont douze avec les membres du cabinet médical qu'il avait installé dans la maison de ses parents.

Paniqué, le prêtre du village était venu lui demander de se marier, mais avait été contraint de déclarer au gouvernement que Don Demetrio n'était rien de moins qu'un athée. Immédiatement interdit de cimetière catholique - construit sur un terrain offert par sa famille - Don Demetrio battit son propre caveau familiale au fond de son jardin. Abusé par un prêtre, fervent médecin légiste, il n'avait pas l'intention de plier l'échine devant un curton.

Pour les enfants du village, Demetrio n'était rien de moins que le diable en personne: non seulement il découpait des cadavres dans sa maison et ne croyait pas en Dieu, mais il était également chargé de la vaccination des écoliers. En un mot comme en cent, c'était le diable.

Mais il s'en foutait pas mal, car on continuait à venir le voir de toute la région, parfois même pour qu'il remplace un mari stérile le temps d'une consultation.

Les financiers du barrage en projet s'arrachaient les terres de la région, et les villageois vendaient leurs maisons, en emportant portes et fenêtres pour s'installer dans le nouveau village, plus haut dans la montagne, que l'on avait dépourvu de place principale pour éviter les rassemblements. Le prêtre lui aussi se battait pour préserver son clocher, qui selon lui apparaitrait encore à la surface du lac. Mais la TNT est plus efficace que le Christ, et le clocher fut rayé de la carte.

Don Demetrio, lui, ne voulait rien vendre. Ses terres inondables, il ne les céderait à personne. Le 19 octobre, la veille de son anniversaire, on frappa à la porte de sa maison. Surprit de l'heure, Don Demetrio ouvrit la double porte qui donnait sur le chemin municipale qu'il avait fait paver à ses frais. Il reçu la balle en plein torse, et mourut devant sa porte, abattu par l'un des trente six enfants trop envieux des terres à vendre.

Mais Don Demetrio n'était légalement le père de personne, et le patrimoine convoité par son fils patricide revint à l'Etat de Colombie qui vint-huit ans plus tard, trouva enfin un acheteur assez fou pour occuper cette maison que tout le monde savait hantée. C'est lui qui nous raconte cette histoire, sur ce lac où les villas de luxes sont le plus souvent propriété de la famille de Pablo Escobar. On voit encore la maison détruite où le cartel de Cali et la CIA avait essayé de mettre fin aux jours du Robin des Bois de la cocaïne.

Mais Pablo, comme dans tout bon film de méchant, s'était enfuit en jetski depuis son tunnel secret, à une centaine de mètres de la tombe de Don Demetrio.

De toute façon, son cercueil est vide, ses os volés l'année dernière par des amateurs de magie noire avide des pouvoirs du Don Juan del Viejo Peñol.

Le médecin malgré eux

Publié dans Récit de Voyage

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F
Beau texte. De l'angoisse aussi, distillée gentiment: bravo!
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